Voici quelques paroles personnelles qui disent ce qui est important pour chacun-e d’entre nous dans la danse forum. Des paroles diverses pour ce que nous vivons et cherchons ensemble.
Aude Laure
J’aime observer ce qui se meut dans mon corps.
J’aime être en mouvement.
J’aime questionner, réfléchir, être « bousculée » (là où je ne m’y attends pas).
J’aime partager un moment, une expérience et la décrire, l’analyser, la comprendre à plusieurs.
La danse forum permet ces choses. Elle suscite des émotions. Elle me « remue ». Elle permet de rendre visible ce qui ne l’est pas toujours (car souvent profondément incarné). Elle vient interroger ce que j’ai socialement incorporé, ce qui influence mes gestes, mes postures, mon regard.
A chaque expérience de danse forum, j’ai l’impression qu’une « œuvre d’art collective » est en train de se créer devant moi.
Une œuvre d’art mouvante et vivante.
Une œuvre d’art qui sera ensuite explorée par moi-même et grâce, par, avec les autres.
Une œuvre d’art qui a « l’humilité » de ne pas se vouloir « parfaite » et qui semble si quotidienne.
La danse forum continue à me surprendre. Elle reste (et restera peut-être) en partie pour moi une énigme. Il y a quelque chose, là, presque impalpable ; que je ne sais, en tout cas, pas mettre en mots.
Mais j’aime cet « inconfort ». Je le trouve riche.
Florence
La danse forum m’ouvre parfois un espace de présence particulier. Une présence alerte, ouverte, et en même temps profonde et charnue. Une présence accueillant l’autre, tout en se déployant amplement. Une présence palpitante, curieuse, et en même temps tranquille, magmatique. Je crois que c’est principalement pour cet état de présence que j’aime la danse forum.
L’autre chose qui m’attache à cette pratique se situe dans l’aller-retour entre mon propre chemin et la mise en commun, entre ce qui se tresse et se déroule pour chacune et ce qui se noue et se tisse dans le collectif. C’est là plus le comment que le pourquoi, le dépliement des thèmes et non leur affinement, la surprise d’une trouvaille plutôt que la recherche d’une réponse.
Ces deux éléments, émergents puis cultivés, complexifiés et densifiés tout au long de mon parcours dans la danse forum, enrichissent et infléchissent très concrètement mes rapports à moi-même et à ce qui m’entoure. Ils nourrissent un état de sensations poreuses et goutteuses, qui me relie douillettement à l’inconnu, inconfortable et quotidien.
Mickaël
La danse forum m’a permis de danser, elle m’a donné une voie, celle des sensations, de l’involontaire, l’attention à cette gradation entre involontaire et volontaire – un soulagement. Elle m’a permis de commencer à chercher ma danse et elle reste un support indéfectible.
Aussi, elle m’a donné l’espace scénique, où ma danse se donne à voir sans être jugée, car elle est vue par mes semblables, qui y dansent tout comme moi. L’espace scénique a explosé mon lien à moi. L’espace du regard m’a ramené au théâtre, au spectacle, au musée avec des yeux nouveaux et créateurs, avec confiance aussi.
Sur mon chemin philosophique et poétique, la danse forum est tombée à point nommé comme un révélateur. Elle m’a donné un outil pour mettre à l’épreuve, concrètement, l’absence tant clamée de séparation entre corps et esprit, ouvrant ainsi une issue de secours à la pensée mortifère occidentale (issue faite pour moi, qui suis mort-né en oCcident).
Enfin, la danse forum m’a donné des personnes qui accompagnent vie et pensée, avec lesquelles j’ai tissé des liens profonds et indicibles, puissants. Ouverts sur un champ du sensible infiniment insoupçonné.
Pascale

J’ai découvert la danse forum en 2016. A ce moment là, ma pratique théâtrale était principalement axée sur le théâtre de l’opprimé, notamment le théâtre forum. En théâtre forum, on travaille une question sociale très claire, et on la soumet au public, dans l’idée de venir la déplier ensemble. La scène initiale présente une situation sociale d’oppression, qui doit être reconnue et partagée avec le public. Ensuite, lors du forum, le spect’acteur est invité à venir sur scène improviser avec les comédien-nes pour essayer une façon d’agir. La question qu’on pose au public est sincère : on ne connaît pas de réponses à priori.
En créant une scène théâtrale à partir de vécus, on dévoile les différents aspects de l’oppression. En la présentant devant un public et en faisant forum, on travaille des pistes d’actions pour combattre cette oppression, du point de vue des opprimé-es.
On se pose tout un tas de questions sur comment mener un forum : comment le public vient sur scène, ce que ça produit qu’une personne du public vienne essayer quelque chose sur scène…
Toutes ces questions me passionnent, parce qu’elles viennent agir à l’endroit du sentiment d’impuissance qui caractérise souvent des situations sociales d’oppression.
J’ai plongé dans la danse forum à partir de mon expérience du théâtre forum. C’est une pratique différente, mais certaines questions et enjeux se rejoignent.
Que se passe t-il dans le fait de pouvoir à tout moment entrer dans l’espace de représentation ? Qu’est-ce que ça change dans ma façon de regarder ?
Je me rends compte que ça aiguise mon attention, mon qui-vive, mon désir d’entrer sur la scène. Quand j’ai commencé la danse forum, j’étais surtout habitée par un désir de jouer, c’était quelque chose de très ludique pour moi. Très sérieux, demandant beaucoup d’attention, et très ludique en même temps.
Comme en théâtre forum, cette pratique vient travailler sur mon sentiment d’impuissance, qui me traverse voire m’envahit régulièrement face à la violence structurelle de notre monde.

Dans la danse forum, l’impuissance se fissure, je suis témoin attentive d’une représentation sur laquelle il est en mon pouvoir d’intervenir, de venir modifier le cours des choses. Ce n’est pas juste symbolique. Concrètement, je me lève, je quitte l’espace du regard et j’entre sur scène, et alors les autres voient ce que je suis en train de faire, je suis en représentation et ma présence modifie ce qui se passe. Ce que ça fait concrètement, c’est très fort.
J’ai perçu toute la richesse d’une pratique qui ne part pas d’une question sociale mais du corps, du mouvement, des sensations. C’est cette matière-là qui est première, qu’on vient ensuite tisser avec une thématique, un concept, une question qu’on souhaite travailler. C’est un peu comme faire de la philosophie en dansant, ou plutôt : danser en philosophant malgré soi… C’est malgré soi parce qu’on ne cherche pas à représenter quelque chose auquel on a pensé quand on vient sur scène. On entre sur scène avec un élan, lié à nos sensations, notre imaginations, notre émotion, que sais-je, mais pas avec une idée de quelque chose à dire. Et pourtant on vient dire quelque chose. Celles et ceux qui regardent voient des choses qui se disent. En quelque sorte, on crée de la pensée incarnée. Il se passe quelque chose entre les corps en présence, parfois on vient le nommer, parfois c’est impossible de le nommer mais tout le monde le sent : quelque chose a eu lieu. Ainsi, plusieurs niveaux de faits coexistent : le langage rationnel (qu’on peut utiliser lors des temps de pause proposé par le-la tilteur-se) mais aussi le langage du corps et du mouvement, ou encore la musique, la poésie, le dessin, en bref les autres arts qui apparaissent sur la bordure scénique. On ne fait pas d’objectivation ni de clarification rationnelle de ce qui s’est joué, on ne cherche pas à résoudre ou uniformiser l’expérience qui a été traversée par le groupe. Quelque chose a eu lieu, habité de subjectivités diverses. La pratique ouvre ainsi sur le magique.
C’est une recherche poétique, philosophique et politique, qui vient questionner des endroits que l’on ne sait pas encore nommer, proposer des ouvertures au-delà des catégories, inventer des formes pour penser et sentir.
La danse forum a soutenu et nourri mon désir de danser. Danser c’est comme faire un voyage sur une autre planète, c’est pouvoir être dans le monde d’une autre façon que le social auquel on est habitué.
Ça me permet d’être avec une énergie, un état, dans lequel je ne suis pas dans la vie sociale. La danse me prend, quelque chose cherche à vivre. C’est très intime de partager un moment de danse improvisée avec des personnes. C’est un partage, c’est précieux. Ça fait exister quelque chose avec la ou les personnes. Quelque chose s’est passé, on s’est fait un cadeau, maintenant il y a un lien particulier entre nous. J’aime être en lien comme ça. Partager des danses, c’est une façon de multiplier ces liens et ces autres façons d’être au monde.

« La vie, la mort, l’amour, le bien, le mal, le sens, l’absurde, la raison, la folie, le monde, tout cela est mélangé et ne peut s’éclairer qu’à la bougie. En allant doucement. En faisant attention aux analogies, aux théories qui découpent tout à grand coups de hache, aux gros spots qui rejettent toute une partie des pans dans l’ombre.
Nous ne pouvons avancer que dans le clair-obscur, à petits pas de loups. Sans vraiment savoir.
Avec de petites mythologies, des petites histoires, des petits abris. Et avec Foi pourtant.
Avec le sauvage parmi nous, l’indompté, l’inframonde, et sans céder pourtant.
Nous pouvons essayer de sentir ce qui palpite, là où coule l’eau.
Sentir la Source qui Protège, Aime et Permet. »